cin


Ema - Réinventer Paris

Client
Mairie de Paris
Architects
Glenn Medioni / C16
Year
2015
Program
Cultural
Status
In Progress
Scale
2500 m²

Nous avons participé à l’appel à projet urbain innovant – Réinventer Paris – lancé par la mairie de Paris fin 2014.

Projet sélectionné et exposé au pavillon de l’Arsenal.

Architecte Mandataire du Collectif 16 sur le site de la sous-station Voltaire _ Réinventer Paris

Le dossier complet ici

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Concepteurs architecture & design :

Glenn Medioni / Bettyna Zadeh / Michael Degois / Laurent Karst / Ilies Issad / Veneta Vladimirova / Alexandre Echard / Edouard Gouthière / Annabelle Bastos, Florian Godineau

Infographiste : Camille Foussard

Graphiste : Alexandre Arzuman

Technicien Économiste de la construction : Pascal Kemether

Consultant en stratégie d’usage / programmiste : Sedjro Mensah

Consultante en relation publique : Leslie Menahem

Un grand merci également à :

Clémentine Dramani Issifou // Belleville en vues : Structure de sensibilisation à l’image et de diffusion de films

&

Sarah Goldberg // Bagel Lab & Art2M – Production d’œuvres d’art innovantes

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Note de synthèse – Collectif 16

L’objectif du projet du collectif renfermait à l’état latent dans la note d’intention, est double : il s’agissait d’une part de donner ses lettres de noblesse au terme populaire en travaillant sur ses spécificités qui ont tendance à passer au travers des grilles d’analyse des logiques d’exploitations traditionnelles et des dispositifs des politiques d’aménagement du territoire. Cela a donné naissance à Ema, un écosystème vivant riche de ses croisements. Mais Ema est également un système duel et paradoxal afin de répondre au deuxième objectif formulé dans la note d’intention : celui de prendre en compte la dissémination de la production d’images au sein de la société tout en alliant la volonté de trouver dans le cinéma un repère non sanctuarisé. Ema est donc également un émetteur-récepteur-catalyseur d’images.

La majorité marginalisée est une expression employée par Michel de Certeau qu’il mentionne dans son ouvrage de référence « L’invention du quotidien » pour désigner une population qui échappe à l’identification des outils que peuvent être entre autres le marketing  et les systèmes bureaucratiques. Penser l’individu non en tant que masse mais dans sa pluralité de tactiques quotidiennes permet de renouer avec les  galvaudées « catégories populaires » et de mettre l’intelligence et l’inventivité de cette majorité invisible au centre du projet Ema.

Ema, l’écosystème vivant de quartier

Afin de réintroduire les catégories populaires notamment celles petit à petit exclues par des stratégies commerciales, nous avons amené une partie de la rue à l’intérieur d’Ema ; à la fois dans sa dimension associative et sociale que dans la vie culturelle ou dans ses activités commerciales. En valorisant la façade historique vitrée, en dégageant l’espace central et en reconstituant une partie de l’écosystème du quartier, Ema assure une transition douce de la rue vers le cinéma réduisant ainsi l’effet de seuil que procure un lieu dédié à une activité que l’on considère étrangère à ses pratiques. Le plateau libre est délibérément sans assignation spécifique afin de reproduire la qualité d’espace d’une place de quartier et est conçu de manière à laisser les entrecroisements créatifs se développer. Organisée autour de cette place et articulée à elle on retrouve les activités commerciales et non commerciales ainsi qu’un espace vert. Le salon de coiffure et de maquillage, la laverie, le bar et le bistrot ont été choisis car ils induisaient souvent un temps d’attente potentiellement subi par ses usagers et parce que ses espaces était appropriés par les catégories populaires. Le cinéma offre une alternative viable et pertinente d’utiliser son temps en parallèle ou en articulation avec celui dépensé dans ses activités commerciales.

En recréant l’écosystème vivant de la rue, on obtient un équilibre qui se manifeste notamment dans le volet financier du projet, l’exploitation du cinéma n’est plus sommée par l’impératif économique car les coûts et les revenus se répartissent sur l’ensemble des activités, laissant ainsi la possibilité au lieu de développer d’autres dimensions plus sociales et culturelles et il a pour contrainte, positive, de penser le lieu comme un système en interdépendances complexes et variables. Cela se caractérise par un écheveau scénarisé conçu pour le projet.

Les entrecroisements fertiles

Des combinaisons souvent surprenantes et qui permettent d’échapper à une assignation trop réductrice et monoculturelle, on les retrouve en permanence au sein d’Ema. Ainsi la connexion entre le jardin potager et le restaurant met en exergue un circuit court et donc durable. La gestion des activités tertiaires d’Ema par des intermittents de l’industrie du film donne par exemple une qualité toute particulière au salon de maquillage ou à l’accompagnement des usagers dans la médiathèque tout en assurant un revenu complémentaire à cette catégorie de la population précarisée. Le Lavomatic que l’on peut taguer à l’infini sur le mur-installation water light graffiti constitue une alliance inattendue permettant l’appropriation de l’utilisateur de cet espace généralement stérile. Grâce à l’association du nord-est parisien Belleville en vues qui développe avec l’exploitant une partie de la programmation, on obtient un hybride « glocal » (à la fois global et local) qui permet d’intégrer la diversité du cinéma-monde à l’échelle du quartier. Cette programmation est elle aussi, hybridée avec d’autres activités : cinéma-tricot ou projection spéciale pour apprendre le français en ligne élargissent ainsi les publics.

Dans cette configuration particulière, l’art quitte en partie son positionnement d’avant-garde pour assurer le ciment et la cohésion de ces alliages, les artistes et les œuvres créent des situations d’interface, favorisant la rencontre et l’échange. Plutôt que de mettre en avant les talents individuels, ils rendent possible la créativité des utilisateurs, l’antidiscipline si féconde des artistes est ainsi valorisée à plein.

Le Yin et Yang des usages

L’autre élément déterminant dans la conception d’un cinéma de demain a été la réflexion sur l’évolution des usages relatifs au cinéma, elle se retrouve dans l’architecture du bâtiment, non pas comme un apparat symbolique mais comme une pensée profondément design visant à développer et accompagner de nouvelles stratégies d’usage.

Ema est composé de deux entités principales contrastées mais donnant l’impression de se féconder l’une l’autre par leurs parois en devers. Il s’agit d’un tout indissociable, la faille de lumière entre elles deux visant davantage à donner à voir les structurations spécifiques de chacun. Ce « Yin et Yang » harmonieux du bâtiment est à l’image des tendances dans les nouveaux usages identifiés dans notre recherche. Ces espaces sont à la fois fluides mais s’interpénètrent en gardant leur intégrité, ils protègent l’expérience rituelle pour mieux la rouvrir à de nouvelles configurations d’usages. La dualité architecturale recoupe la distinction de celles-ci : d’un côté le spectateur à qui l’on garantit un voyage initiatique structuré et structurant, de l’autre le « spectacteur » – l’inventeur du quotidien pour paraphraser encore Michel de Certeau- enfin affranchi et qui désire participer au cinéma et au monde qui se fait.

Prendre soin du spectateur

Le cinéma en premier lieu, ce sont ses salles et c’est la présence irréductible de la façade intérieure qui frappe d’entrée le visiteur. Les guichets mobiles s’effacent pour laisser dégagé le cœur du cinéma. On fait face à une forme monolithique, une gemme, géométrique, volontairement hermétique et abstraite qui rentre dans l’espace et s’impose à soi par son élévation sans limite jusqu’au ciel, afin que rentrer dans cet espace soit comme pénétrer dans un temple.

L’odeur du popcorn et des sucreries du stand mobile de friandises signaliseront l’entrée laissée libre de porte. Cette façade intérieure garantit au spectateur l’expérience intime de la projection et son anonymat et rend possible une immersion cinématographique en société de qualité.

Si cette paroi se présente comme une surface unifiée pour toutes les salles, qui protège et rassure sur l’expérience intime de la projection ; se cachent derrière celle-ci des propositions de configurations de salles résolument différentes correspondant chacune à de nouvelles expériences.

Dans ce lieu, la corporalité dans le visionnage est comme partie intégrante de l’expérience du spectateur et ainsi, la transforme. La gemme se décompose en un spectre sur cinq niveaux : Les deux salles centrales, proposent une configuration classique et de qualité convenant à la majorité des conditions de projection et accessible au plus large grâce à un équipement pour malvoyants et malentendants. C’est leur taille qui les différenciera, la grande salle pour une communauté large, populaire et la petite pour une programmation plus intimiste. Au sous-sol, davantage expérimental, l’assise disparait. Le film y sera souvent de format court, c’est le spectateur en station debout qui peut choisir de butiner selon son humeur ou sa curiosité à la manière d’une visite d’exposition. A l’inverse, la salle supérieure invite à la détente, les sièges s’allongent pour prendre la forme de transat, l’écran s’oriente pour une projection à l’horizontale. Enfin surmontant les salles, le toit redonne l’expérience des cinémas en plein air, la rendant privilégiée de par sa position exclusive et élevée. Si l’architecture structure dans cet ensemble fortement les usages, sa conception s’appuie intégralement sur l’observation des demandes de l’usager en quête du retour de la « sortie cinéma », d’un rite éloigné du visionnage quotidien des petits écrans mobiles et du domicile. L’architecture permet ici de restituer une aura au cinéma qu’aucune technologie ne saurait donner.

De la gestion de flux à l’ère de la mobilité

Autant le mur monumental aveugle cachant les salles s’impose par sa présence dans l’espace autant le bloc de l’entrée, inondé de lumière grâce à la façade historique vitrée et la faille centrale s’ouvre et s’efface avec élégance dans un souci de transparence. Ici le travail de l’architecture se fait immatériel. Ce symétrique inversé traduit une orientation vers des usages complémentaires et jusqu’à présent inédits pour un cinéma. Avec un plateau de 160m² laissé libre de toute cloison, l’espace d’accueil exprime le changement de paradigme du cinéma : autrefois cantonné à la gestion de flux dans les cinémas traditionnels, ce lieu devenu propre intègre la notion de mobilité : le plateau verra ainsi s’installer une ressourcerie qui proposera la vente éphémère d’objets récupéré sur les tournages, ainsi que des stands temporaires en lien avec la programmation du moment. Cet espace sera investi et co-modelé par ses usagers : les « autos-visionneuses » seront autant de médiathèques numériques sur roulettes. Elles pourront s’assembler afin de regrouper des tribus d’amis, des couples de seniors et/ou d’amoureux, des classes en visite, le clan familial ou simplement rester isolées pour l’utilisateur solitaire.

La chambre noire inversée : la fabrique du cinéma

Autre changement majeur, celui du brouillage des lignes entre le producteur et le consommateur. La démocratisation des technologies de captation et de diffusion a rendu la frontière poreuse, les usagers s’intéressent de plus en plus aux moyens de production, les coulisses de l’image deviennent une nouvelle forme de divertissement, plus encore les usagers deviennent à leur tour producteurs de médias ; les POM (petits objets multimédias) ou les chaines youtube de particuliers « amateurs » étant symptomatiques de ces changements. C’est pourquoi Ema donnera à voir le cinéma tel qu’il se fait dans ses nouvelles formes et genèses. La transparence de l’espace ainsi que l’accès libre permettra de voir les studios de tournage et de montage de courts-métrages ou de visiter les ateliers des costumiers, des maquilleurs et des coiffeurs de la petite industrie du cinéma présente sur place. Car oui, Ema ne sera pas uniquement un lieu de projection, cette transparence sera certes à la fois attraction et vitrine pour le grand public mais aussi un lieu d’incitation à la création. L’ancienne sous-station électrique se fera donc productrice d’une énergie créative. A côté des studios d’enregistrement et du film lab pour le montage situé en sous-sol, les utilisateurs deviendront contributeurs et feront évoluer le contenu de la banque de données de la médiathèque placée en open source. Les outils de numérisation du film lab permettront à ceux qui le souhaitent de convertir leurs anciennes VHS et autres supports aux nouveaux formats. Les salles et le plateau seront équipées de matériel afin de diffuser tables rondes, MOOC (cours universitaires en lignes) et discussions. Enfin comme couronnant le tout, placés sous le toit-jardin du bâtiment, des bureaux partagés favoriseront les émulations interdisciplinaires.

Donner un prénom à un cinéma n’est pas le fruit du hasard car Ema fonctionnera comme un organisme vivant, captant les nutriments bruts et les transformant en énergie ; conservant dans son noyau le code génétique de son identité tout en le faisant évoluer suivant le contexte. Les entités vivant à l’intérieur d’elles interagiront pour donner naissance à un système plus complexe mais qui lui garantira un équilibre plus constant. Donner vie à Ema est un de nos plus grands souhaits.